Category Regulatory

Les enjeux de la 4e directive de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

CONTEXTE

  •  Le dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) s’est fortement enrichi et intensifié avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qui a transposé en droit français la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 dite 4e directive LCB-FT. 
L’application de cette ordonnance est partiellement conditionnée par la publication de plusieurs décrets et arrêtés qui auraient dû être publiés au plus tard le 26 juin 2017 date de l’entrée en application de la 4e directive. 
A ce jour, seul un décret sur le registre des bénéficiaires effectifs a été publié le 12 juin 2017 et les autres textes sont attendus pour la fin de l’année 2017.
  •   Le 5 février 2013, la Commission européenne publie une proposition de « 4e directive » lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme qui a été définitivement adoptée par l’Union européenne le 20 mai 2015. 
Avec la « 4e directive », l’Union européenne poursuivait quatre principaux objectifs :
ü mettre en conformité son cadre légal avec les 40 recommandations du GAFI révisées en 2012,
ü renforcer la cadre préventif et l’approche par les risques,
ü ne plus opérer de distinction entre personnes politiquement exposées (PPE) nationales et étrangères, ü préciser la notion de bénéficiaire effectif. 
La transposition de la 4e directive en droit français a pour principale conséquence le renforcement des obligations et des responsabilités des personnes assujetties notamment des établissements bancaires.

NOTRE ANALYSE

1. La nécessité Le renforcement des obligations des établissements bancaires

A. L’enrichissement nécessaire des bases de données KYC liée à la suppression des exemptions de vigilance

Les personnes assujetties doivent déterminer le profil de risque de chaque client et lui affecter un niveau de vigilance adéquat. Cette vigilance se traduit par l’identification et la vérification de l’identité du client et le cas échéant de ses bénéficiaires effectifs, par le contrôle continu de la relation d’affaire. Cette vigilance peut être soit :

*  simplifiée lorsque le client ou l’opération ne présente qu’un risque faible de blanchiment ou de financement du terrorisme ;

*  renforcée lorsque le client ou l’opération présente un risque élevé de blanchiment ou de financement du terrorisme (entrée en relation de manière inhabituelle ou à distance, personnes politiquement exposées (PPE), relations de correspondance bancaire...). 
La 3eme directive prévoyait des exemptions en matière d’obligation de vigilance simplifiées notamment pour les sociétés cotées et les établissements régulés. Le futur décret attendu en fin d’année devrait supprimer ces exemptions ce qui aura pour conséquence d’identifier les entités autrefois exemptées et l’obligation d’enrichir les bases de données « Know Your Customers » (KYC).

B. L’extension du nombre des clients à risque liée à la suppression des Personnes Politiquement Exposée (PEE)

La notion de personnes politiquement exposées (PPE) a été introduite par la 3ème directive et a été élargie par la 4e directive en supprimant le critère de nationalité. En effet, un PPE « est une personne qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu'elle exerce ou a exercées pour le compte d'un Etat ou de celles qu'exercent ou ont exercées des membres directs de sa famille ou des personnes connues pour lui être étroitement associées ou le devient en cours de relation d'affaires » (C. mon. fin., art L561-10). Ainsi, les établissements bancaires et autres personnes assujetties doivent appliquer les mesures de vigilance renforcées à toutes personnes physiques exerçant ou ayant exercée des fonctions publiques importantes dans un pays tiers ou européen (PPE étrangères), ainsi qu’aux personnes qui exercent ou ont exercé des fonctions publiques importantes sur le territoire national (PPE nationales). Une durée de 12 mois de vigilance complémentaire est imposée après la cessation des fonctions du PPE.
Cette suppression du critère de nationalité des PPE a pour conséquence l’élargissement consécutif du nombre de clients à risque dans les bases de KYC des établissements bancaires et autres personnes assujetties notamment en France où le nombre d’élus est très important et que cette notion s’étend à leurs proches. De plus, il n’existe pas de liste officielle de PPE ce qui est source d’insécurité juridique, c’est pourquoi, la profession bancaire souhaiterait la publication d’une liste des PPE ou, a minima des fonctions visées dans le dispositif.

C. L’identification du bénéficiaire effectif et la création d’un registre des bénéficiaires effectifs

Le bénéficiaire effectif est « la ou les personnes physiques : soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée. » (C. mon. fin., art L.561-2-2). Le futur décret, attendu en fin d’année, précisera la définition et les modalités de détermination du bénéficiaire effectif. Dans les faits, cette notion avait déjà été introduite par la transposition de la 3e directive. Il s’agit, au travers d’une chaîne de propriétés, de toute personne possédant, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote, ou à défaut, la personne exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion, dans le cas des sociétés et des organismes de placements collectifs.
Par ailleurs, le décret du 12 juin 2017 prévoit que toutes les catégories de personnes morales ont l’obligation d’identifier leurs bénéficiaires effectifs (les sociétés, les groupements d’intérêts économique, les associations et fondations...). Ces entités ont une double obligation d’une part, obtenir et conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs, d’autre part, déposer en annexe du RCS un document relatif à ces bénéficiaires effectifs, ainsi qu’aux modalités de contrôle qu’ils exercent sur l’entreprise. La communication des informations contenues dans le document relatif aux bénéficiaires effectifs est strictement encadrée (C. mon. fin., art R.561-57 et R. 561-58). Les établissements bancaires et autres personnes assujetties peuvent établir une demande de communication, soit dans le cadre d’une déclaration de soupçon dûment établie par la personne habilitée, soit dans le cadre de la mise en œuvre d’au moins une des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle (C. mon. fin., art. L. 561-4-1 à L. 561-14-2).
Les cas de demande de communication autorisés par le décret du 12 juin 2017 sont nombreux, allant des investigations
à l’entrée en relation avec un nouveau client à celles menées dans le cadre d’une déclaration de soupçon, le formalisme administratif de cette dernière en limitera certainement le nombre de demandes. Le registre des bénéficiaires effectifs doit donc être appréhendé par les établissements bancaire et autre personnes assujetties à la LCB-FT comme un outil complémentaire à leurs diligences. Il ne pourra pas être consulté de manière systématique comme un outil de référence permettant de compléter les investigations quotidiennes nécessaires à la gestion des risques clients.

2. Le renforcement des responsabilités disciplinaires et administratives

A. Augmentation des plafonds des sanctions et de la responsabilité individuelle

Tout manquement par une personne assujettie aux obligations LCB-FT est susceptible de recevoir une sanction disciplinaire ou administrative. S’agissant du droit bancaire et financier, le contrôle est assuré par l’autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) (C. mon. fin., art. L. 561-36).
L’ordonnance du 1er décembre 2016 est venue renforcer le dispositif de supervision et de sanction de l’ACPR pour le secteur bancaire, assurance et moyens de paiement ainsi que de l’AMF pour les acteurs et produits de la place financière, conformément à ce qui est prévu dans la 4e directive LCB-FT.
Devant l’ACPR, les sanctions encourues par les assujettis sont l’avertissement, le blâme, l’interdiction d’effectuer certaines opérations pour une durée maximale de 10 ans et toute autre limitation dans l’exercice de l’activité, la suspension temporaire de dirigeants pour une durée maximale de 10 ans, la démission d’office de dirigeants, le retrait partiel ou total d’agrément ou d’autorisation, la radiation de la liste des personnes agréées. Soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire de 100 millions d’euros peut être également prononcée (C. mon. fin., art. L. 561-36-1).
L’AMF dispose de pouvoirs de sanction analogues. Outre les sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, ou interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des services fournis), la Commission des sanctions de l’AMF peut imposer des sanctions pécuniaires allant jusqu’à 100 millions d’euros pour les entités ou personnes physiques professionnelles relevant du contrôle de l’AMF, et de 1,5 à 15 millions d’euros pour les personnes physiques non professionnelles placées sous l’autorité des entités contrôlées par l’AMF.
Au-delà de l’augmentation très significative des plafonds de sanctions pécuniaires susceptibles d’être prononcés contre les personnes assujetties, l’ordonnance apporte des changements très significatifs en matière de responsabilité des dirigeants et autres personnes responsables au sein des banques.
Désormais, l’ACPR et l’AMF peuvent non seulement sanctionner les dirigeants disciplinairement et pécuniairement lorsque le manquement constaté au niveau de l’établissement assujetti peut leur être imputé, mais aussi toute autre personne considérée comme responsable, pour autant que celle-ci occupe une position hiérarchique élevée et possède une connaissance suffisante sur la problématique LCB-FT (ce qui inclue le responsable conformité), même lorsqu’elle n’a pas la qualité de dirigeant (C. mon. fin., art. L. 561-36-1 et art L.561-32). Dans les deux groupes de personnes physiques pouvant être sanctionnées pécuniairement, l’amende peut s’élever à cinq millions d’euros. Cette évolution est majeure dans la mesure où auparavant, seule la personne morale assujettie pouvait être sanctionnée pécuniairement en cas de manquement à la réglementation LCB-FT.

B. Jurisprudence récente

A ce jour la jurisprudence de l’ACPR est plus abondante que celle de l’AMF en matière de LCB-FT ce qui a permis de préciser les contours de l’obligation de vigilance des personnes assujetties notamment pour le secteur bancaire et assurance. Les récentes sanctions de l’ACPR en matière de LCB-FT intervenues en 2017 n’ont pas encore été fondées sur la base de la 4e directive mais on constate une augmentation significative des montants des sanctions. En effet, la sanction de BNPP publiée le 30 mai 2017 pour un montant de 10 millions d’euros et la sanction de la Société Générale publiée le 19 juillet 2017 pour un montant de 5 millions d’euros sont fondées toutes deux uniquement sur des manquements en matière de Déclaration de soupçon assortie de sanction record. Ces sanctions se veulent sans nul doute exemplaires si on les compare aux précédentes sanctions de l’ACPR en matière de LCB-FT car elles sont 5 à 10 fois supérieures aux sanctions moyennes.
Avec l’entrée en vigueur de la 4e directive, on pourrait penser que cette tendance devrait perdurer pour les personnes morales et la question des sanctions des personnes physiques reste à ce stade encore théorique.

CONCLUSION

Suite à la divulgation des « Panama Papers », la Commission Européenne a adopté le 5 juillet 2016 une proposition de nouvelle directive dite « 5e directive ». Ce nouveau texte vise à renforcer davantage les règles de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux afin de combattre le financement du terrorisme et d'accroître la transparence en ce qui concerne les bénéficiaires effectifs d’entreprises et de fiducies («trusts»). Ainsi l’entrée en vigueur de la 4e directive intervient alors que les discussions entre le Parlement européen et le Conseil sur l'adoption de mesures supplémentaires sont très avancées. Ces discussions s’orientent notamment vers l’abaissement du seuil d’identification des bénéficiaires effectifs de 25% à 10% ce qui complexifierait encore plus les diligences en matière de KYC des personnes assujetties.